mercredi 18 juillet 2007

De la réactualisation de Ben Barka

De la réactualisation de Ben Barka
Enlevé de la Brasserie Lip le 29 /10/65, BB a été torturé dans une villa , liquidé , son corps n’a jamais été retrouvé depuis .
Plus de 40 après cet assassinat politique,la vérité reste étouffée et les coupables protégés.
Or l’ouverture de documents secrets déclassifiés, loin de déterminer la responsabilité, nourrit les médias en mal de scoop et de scandales .

A défaut de révéler la vérité et de juger les coupables , l’affaire BB avait pris la tournure d’un roman policier . Aujourdh’ui,avec les dernières révélations publiées par certains journaux elle ressurgit sous la trame d’un film d’espionnage de mauvaise série.

« Avant d’être enlevé et de disparaître à Paris en 1965, l’opposant marocain a travaillé pour les services secrets tchécoslovaques. »
Cette révélation est publiée dans l’Express du 4 juillet 2007 qui affirme dans un titre racoleur: « Ben Barka était un agent de l’Est. »
Elle est reprise dans le Journal daté du 7 juillet qui titre “Ben Barka espion de l’Est?”:

Le sens de ces révélations :
Les arguments du Journal ou le discrédit du socialisme.
Partant d’un constat réél :“Ses partisans ont sanctifié le personnage mais aussi dilapidé son capital politique au grè de leurs calculs politiques avec la monarchie” , le Journal spécule sur ce qu’aurait pû être l’évolution politique de Ben Barka : “aurait-il eu la même attitude au 20ème siécle qui a vu son idéal politique disparaitre avec les Soviets?” (Le Journal) . Et de poursuivre :
Son “image légendaire” mystifiée vaut mieux que celle de Castro, malade et vieux qui continue à s’accrocher à son régime finissant.
Même si ,reconnait le Journa,l l’ Amérique Latine “ voit se génèrer des ersatz de Guevara, comme Chavez, à la mode altermondialiste”
’il faut , pour comprendre la portée de ces documents, se replacer dans le contexte de la guerre froide”,’écrit le Journal.
“Pour son ambitieux projet de la Tricontinentale, Ben Barka comme d’autres porteurs de cette idéologie, avait besoin de ces soutiens pour arriver à ses fins au Maroc et ailleurs.”
Il semblerait que ce n’est qu’en se plaçant dans le contexte de la pensée unique du néo-libéralisme que l’on peut comprendre pourquoi ces révélations , quel est leur but.
A vouloir tant “déconstructruire”, nos néolibéraux se nourrissent de la confusion, l’alimentent au grand mépris de notre intelligence.

L’ouverture des archives pour mieux manipuler et encore plus.

Après avoir révélé ses liens supposés avec le Mossad, aujourd’hui Ben Barka est devenu un agent de l’Est.
Aprés avoir fait disparaitre son corps, on déterre les archives pour récrire une autre histoire, la manipuler, la travestir, banaliser le personnage.
Dans une lecture des néo conservateurs, les contre-révolutionnaires sont absous , les révolutionnaires sont “désacralisés” en décortiquant des révélations douteuses.
Les documents secrets déclassifiés restant attendus , ce qui permet de préparer le terrain pour banaliser la vérité. C’est assassiner une fois de plus Ben Barka et par là même enterrer les idées qu’il portait .
Il a existé plusieurs Ben Barka, celui du jeune nationaliste de l’Istiqlal et monarchiste, poussé aux compromissions puis accculé à se remettre en question,en une période marquée par les luttes des peuples pour leur indépendance.
Sans vouloir mystifier le personnage, le Ben Barkai qui nous interesse est celui de la Tricontinentale,. Pour ressituer dans une lecture contemporaine, un projet qui reste toujours actuel, celui de construire des alternatives au monde globalisé que nous subissons.
Au sortir des Indépendances, sa critique “Option révolutionnaire” et sa relecture reste encore actuelle.
La période était marquée par des alternatives necessaires pour trouver d’autres issus mondiales aux peuples qui aspirent à une réelle indépendace.
Nous savons que la plupart des leaders porteurs de cette pensée ont été tués : de Lumumba, au Ché, Amilcar Cabral, de ceux qui luttaient contre les colonialismes, qu’ils soient français, belge, espagnol, portugais, nord-américain et de tous continents.

L’Algérie qui vient de conquérir son indépendance de haute lutte en 1962 a été le point de rencontre de tous les leaders qui ont par la suite contribué à créér la Tricontinentale. Ben bella sera alors renversé par Boumedienne en 1965 .
L’année 1965 aura été le tournant .

Patrice Lumunba est assassiné avec ses compagnons le 17 janvier 1961 au Congo et Mobutu prend le pouvoir par un coup d’Etat.
Conduits par avion au Katanga, ils seront conduits dans une petite maison sous escorte militaire ou ils seront fusillés le soir même par des soldats sous commandement belge. Des documents secrets officiels belges déclassifiés, révèlent que c’est bien la Belgique qui porte la plus grande responsabilité dans l’assassinat de Lumumba. L’opération a été menée par des agents secrets belges pour faire disparaître dans l'acide les restes des victimes découpées auparavant en morceaux. Plusieurs de ses partisans seront exécutés dans les jours qui vont suivre, avec la participation de militaires, ou mercenaires belges. La population déclenche une insurrection, avant d’être écrasée par l’armée de Mobutu.
La mort de Lumumba a été une lourde perte pour la communauté des pays non-alignés. Un de ses bourreaux, le général Mobutu le consacra héros national en 1966. Ce n’est qu’en 2002 que le gouvernement belge a reconnu une responsabilité dans les événements qui avaient conduit à la mort de Lumumba et s’est limité à des excuses.
Ce n’est que grâce au travail de fourmi lancé par le CADTM Belgique, autour de l’audit de la dette du Congo, la lutte pour demander justice et reposer la question de la dette du Congo est de nouveau relancée. Cette lutte nous concerne pleinement, au Maroc et pas seulement parce qu’une part de l’argent volé du dictateur Mobutu a été réinvesti chez nous. Pas seulement parce qu’une communauté importante de congolais, chassés par la misère et les guerres demandent refuge au Maroc où ils sont traités au mépris des droits les plus élémentaires.
Mais justement parce à vouloir travestir l’histoire, elle ne rejaillit que de plus belle.
La méthode utilisée pour éliminer Ben Barka en 1965 avait déjà servi en 1961 pour éliminer Patrice Lumumba. Et tout comme Ben Barka, il s’est battu pour un même projet politique.
Son engagement dans le mouvement une non-aligné, son projet de réformes économiques pour le nouveau Congo indépendant, la rupture avec le colonialisme belge et l’impérialisme US, le rapprochement de l’URSS pour obtenir des subventions et contrer les pressions américaines dans cette période de guerre froide. Une autre vision de l’indépendance qui ne pouvait être tolérée car elle touchait au cœur les intérêts impérialistes dans la région, elle redonnait espoir aux millions d’Africains et concernait tous les peuples dominés.
Les mêmes méthodes ont été utilisées pour faire disparaître Ben Barka et pour les mêmes raisons..
Or l’ouverture des documents secrets déclassifiés qui permettraient de lever le doute, au pouvoir marocain de reconnaître sa responsabilité dans la mort de Ben Barka, de permettre à la famille de faire le deuil ,à la mémoire collective de connaître la vérité, on continue à brouiller les pistes.

L’unique hommage à rendre à Ben Barka serait de réactualiser le projet pour lequel il a été liquidé : La Tricontinentale.
Plus que jamais à l’ordre du jour, aujourd’hui, elle passe par l’unité des luttes dans les trois continents, dans un contexte de guerres, de pillage des ressources et de soumission de nos souverainetés.
Au sortir d’années de dictatures en Amérique du Sud, les mouvements politiques et sociaux ont imposé une résistance à travers de nombreuses luttes et ont réussi à mettre en place des gouvernements et élire des présidents issus de mouvements comme Lula au Brésil et tout dernièrement Evo Morales en Bolivie, Corréa en Equateur.
Dans notre région dévastée par les guerres, nos mouvements sociaux restent faibles et pris en tenaille entre des bureaucraties politiques et syndicales et des régimes répressifs. Ces mouvements sont contenus par une répression forte qui ne tolère aucune forme d’auto organisation. Plusieurs leaders sont liquidés, le cas de Ben Barka, au sortir de l’indépendance est le plus célèbre, mais ne fait pas oublier bien d’autres dirigeants et résistants comme Omar Benjelloun, assassiné en 1972 par des islamistes à la solde du régime, Houcine Manouzi toujours disparus, Abdallah Mounacer, assassiné, son corps jeté dans le port d’Agadir en 1995, pour avoir organisé les marins pêcheurs.
En Afrique, les guerres incessantes et des régimes mis en place pour permettre aux multinationales de poursuivre le pillage des richesses, perpétuent des génocides sans fin.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes un seul peuple du sud face à la mondialisation. Nous réapproprier nos luttes et notre mémoire collective, c’est aussi nous forger pour les luttes à venir. Les hommes meurent, mais les idées qui poussent aux résistances se renouvellent sans fin tant qu’une dictature économique génère encore et encore plus de misère.
Souad Guennoun
29 juillet 2007

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